Confronté à la roche, le ruisseau l'emporte toujours, non par la force, mais par la persévérance
Au moins, même s'il avait causé du tort à la demoiselle, elle n'était pas partie en courant et avait mieux réagi qu'un certain blond à qui il avait abîmé un bouquin et un vêtement. En un sens, heureusement que tout le monde ne fuyait pas face à sa maladresse causée par son manque de concentration ; il aurait eu bien du mal à se faire des amis !
« Ho ! Ça fait beaucoup de choses à apprendre en peu de temps... La magie, les pouvoirs, les créatures magiques ! Ce monde est si grand ! »
Sebastian avait effectivement pu se rendre compte de la multitude d'inventions sorcières, de sortilèges, de créatures, même de confiseries farfelues ! Le terme "monde" était très représentatif de ce qu'il recouvrait. C'était effectivement comme un deuxième univers. Lui qui faisait déjà preuve d'une grande curiosité dans son monde moldu, elle redoublait encore ici.
« Comment ont réagi tes parents en apprenant que tu étais un sorcier ? Tu es le seul de ta famille à avoir ce don ? »
Sans qu'il ne le contrôle, le corps de Sebastian se crispa et il serra sa mâchoire. Elle venait de s'aventurer sur un terrain sensible. Il pouvait parler de son enfance moldue sans trop de peine, bien que cela lui évoquait de merveilleux souvenirs qui étaient, en un sens, ternis à jamais, expliquer le métier de ses parents, même dire qu'ils n'étaient pas de ce monde. Mais lorsque les questions rejoignaient, directement ou non, sa condition et surtout l'atrocité qu'il avait commise, il ne parvenait que très rarement à rester de marbre. À faire semblant. Par chance, la plupart des personnes avec lesquelles il avait commencé à nouer un lien n'avait pas creusé son vécu avec ce genre de questions, "comment tes parents ont réagi" ou encore "est-ce que tu as un don particulier ?". Ils se cantonnaient aux questions les plus communes, "d'où tu viens ?", ou encore "comment ta magie s'est-elle manifestée ?". Il avait beau s'entourer de monde et chercher à ne pas y penser, la vie semblait toujours parvenir à lui rappeler son crime même dans les actes et paroles les plus anodins.
La question de la sorcière tambourina son crâne. Comment avaient-ils réagi ? Ils ne l'avaient d'abord pas cru, jusqu'à ce qu'il s'enferme dans leur cave la pleine suivante et qu'il se transforme en animal. À ce moment-là, ils étaient passés par une multitude d'émotions, toutes négatives. La stupéfaction, la crainte, le dégoût, la haine. Sans doute que s'il leur avait avoué dès le début, leur réaction aurait été différente, car à cette époque, il était juste sorcier. Pas une malédiction. Ils seraient passés par la stupéfaction, c'était certain, mais auraient sans doute fini par éprouver de la fierté et de la joie. Mais comment cela pouvait-il être le cas, alors qu'il avait avoué à la fois sa nature sorcière et sa condition de lycanthrope ? Qu'il les avait liés ensemble, dans l'esprit de ses parents. Il n'était plus qu'abomination à leurs yeux. Ces yeux dans lesquels il percevait toujours les mêmes ressentiments aujourd'hui. Ces regards qu'il n'osait plus croiser. Encore moins celui de Jonas, son frère, à qui il avait gâché la vie. À bien y réfléchir, il avait ruiné la vie de toute sa famille, en fait.
« Bien. » mentit-il, un fin et faux sourire s'emparant de ses lèvres. « Oui, je suis le seul. »
Il avait au moins cette chance de pouvoir évoluer dans ce monde. Il n'en serait pas moins damné si son secret était découvert, mais son frère, lui, était dans cet entre-deux. Moldu, n'appartenant pas au monde sorcier, et lycanthrope, issu de ce monde. Les sorciers loups-garous étaient déjà rejetés par les sorciers, alors un moldu lycanthrope, cela n'en serait qu'encore pire. Quant aux moldus, s'ils avaient connaissance de leur existence, sans doute ne leur réserveraient-ils pas de meilleur sort. Peut-être feraient-ils des expériences avec eux afin de percer leur secret. Sebastian aurait été prêt à accepter ce destin, à endurer toutes les souffrances qu'on lui infligerait, pour se punir. Même s'il avait conscience qu'aucune punition ne serait suffisante pour qu'il se rachète ou pour qu'il se pardonne.
Il resta silencieux quelques instants. Il ne comptait pas retourner de questions à sa camarade. Il n'avait pas envie qu'elle creuse davantage. Heureusement, lorsque vint le temps des présentations, il parvint à laisser de côté ses tourments. Ou plutôt, il tenta de ne plus se focaliser dessus. Il fut même en capacité de lui proposer de s'entraîner ensemble. Lorsque la demoiselle accepta, il retrouva le sourire, ne se souciant plus des questions qui l'avaient mis à l'aise quelques instants auparavant. Probablement reviendraient-elles à un autre moment. Peut-être le soir, au coucher, quand il serait seul dans sa bulle, que ses camarades dormiraient. Il ferait alors un cauchemar, sans doute celui où il attaquait son frère, se réveillerait en sursaut, tremblant, avant de se rendormir, ou pas, jusqu'à ce que le monde avec lequel il s'entourerait le lendemain lui permette de refouler. Et ainsi de suite.
« Mardi après-midi, c'est d'accord ! Ça me va très bien comme planning. Il y aura peut-être un temps de digestion mais dans tous les cas nous aurons plusieurs heures de travail. Au pire je tenterais de te changer en pouf pour faire une sieste sur toi. »
Il accompagna son rire, avant de rétorquer, un sourire narquois sur le visage :
« Tant que t'arrives à me retransformer en humain, pas de problème ! La vie d'un pouf n'est pas trépidante et je ne pense pas que j'accepterais que n'importe qui se pose sur moi ! Alors sois honoré que je sois d'accord pour que tu te reposes sur moi. »
D'ailleurs, du repos, elle en avait besoin sans doute besoin dès maintenant. Voyant que sa cheville ne semblait pas aller mieux, il lui reproposa de l'amener à l'infirmerie. Cette fois-ci, elle accepta, après une petite hésitation.
« Non... Enfin... Oui. Allons-y... Ce serait peut-être plus sage... Enfin... Si tu acceptes de m'aider à traverser tout le parc car je serais incapable de marcher jusqu'à l'infirmerie toute seule. »
Il leva les yeux au ciel, amusé, tellement la réponse était évidente.
« Non, je vais te regarder te démerder, puis je vais marrer à chaque chute que tu feras. » répondit-il d'un ton sérieux, avant d'exploser de rire. « Ben bien sûr que je vais t'aider, ça me semble tellement logique ! J'ai besoin d'un cobaye pour mes sortilèges après tout ! »
Il attrapa la main qu'elle lui tendit et l'aida doucement à se lever, un large sourire illuminant son visage.
« On va y aller doucement. Avec un peu de chance on arrivera avant Noël. » la taquina-t-il.
Ils commencèrent à se mettre en route tranquillement. Très tranquillement. Heureusement pour Emelïa, il fit très attention à là où il posait les pieds et resta concentré sur sa mission. Il ne manquerait plus qu'il la refasse tomber, ou pire, qu'il lui tombe dessus. Ils parvinrent finalement à destination, après un long moment de marche, qui leur avait permis de parler de divers sujets. À présent, la blonde serait entre de bonnes mains.